La guerre selon Charlie Wilson

Film : La guerre selon Charlie Wilson (2008)

Réalisateur : Mike Nichols

Acteurs : Owen Wilson(Francis Withman), Adrien Brody(Peter Withman), Jason Schartzman(Jack Withman)

Durée : 01:47:00


Adapté de la biographie de Charlie Wilson écrite par le
journaliste américain Georges Crile en 2003, ce nouveau film de Mike Nichols retrace le rôle du député démocrate dans la lutte contre le communisme en Afghanistan. Un scénario original, un trio de stars hollywoodiennes, et une réalisation efficace jonglant entre drame historique et fiction comique, sont les atouts majeurs de
La guerre selon Charlie Wilson.

Tout d'abord, le scénario d'Aron Sorkin est de grande qualité face à la complexité des situations décrites. Les enjeux et implications de la lutte menée par Charlie Wilson et ses compères
sont très lisibles. En effet, malgré les imbrications successives d'intérêts divergents, le poids des jeux d'influence et les machinations de couloir, Aron Sorkin facilite la compréhension de la politique étrangère américaine de cette période... De plus, bien que chacun sache que les troupes soviétiques finiront par se retirer d'Afghanistan, le récit est alerte grâce au ton des répliques. Il s'agit pour Sorkin de traiter un sujet grave, dont on connaît l'issue, par le biais de l'humour. Les dialogues sont donc quasi-continuellement emprunts d'humour à l'instar de cette réplique d'un agent de la CIA à Wilson : « Vous voulez qu'Israël se rapproche du Pakistan, de l'Afghanistan ? [...] J'entrevois quelques problèmes à vue de nez ! ». Aron Sorkin a réussi à faire naître de son scénario une comédie politique sur fond tragique.

Les acteurs se montrent d'un rare professionnalisme car un casting béton ne donne pas toujours, par expérience, un bon film. Tous trois rentrent
dans l'esprit de cette mise en scène politique tragico-comique, recherché par le scénariste. Ils s'imposent face à la caméra par des jeux de regards, de mimiques et par un monopole de l'espace. Il s'agissait pour Tom Hanks d'incarner un personnage de la sphère politique américaine peu connu du public et toujours vivant. Un pari d'autant plus difficile que le personnage présente de multiples facettes contradictoires inhérentes au genre humain. Or, ces facettes ressortent clairement mais subtilement dans le jeu de Tom Hanks. Il faut dire que l'acteur a eu l'occasion de rencontrer le vrai Wilson au cours de nombreux entretiens afin de préparer son rôle*.

Julia Roberts et Philip Seymour Hoffman, qui lui donnent la réplique, sont aussi réellement cohérents dans leur interprétation. Elle, en femme richissime, à la fois
influente professionnellement et faible humainement, met un peu de temps à rentrer entièrement dans son rôle. On a du mal dans les premières scènes à s'imaginer le rôle pivot qu'elle va jouer dans cette épopée. Elle s'avère au final très crédible. Lui, en agent de la CIA complexé par le manque de reconnaissance de son travail par ses supérieurs, interprète son rôle avec une grande aisance. Mike Nichols, lui-même, se dit ébloui : « En le voyant jouer ce personnage singulièrement imposant, cette force de la nature que fut Gust Avrakotos, je me suis demandé si c'était bien le même homme qui avais joué le frêle et délicat Truman Capote. En vérité, il peut tout jouer.* » C'est d'ailleurs lui, qui donne le plus rapidement le ton comique développé au long du film.

Dernier coup de coeur pour la mise en scène : assez classique (ce qui permet de mettre en valeur le jeu des acteurs souligné précédemment), elle pourrait un peu dénoter mais, au contraire, l'
enchaînement d'images d'archives (raids aériens soviétiques au-dessus de l'Afghanistan etc.) et de scènes reconstituées (camp de réfugiés afghans de Peshawar) donne un plus au film. Si certains reprocheront à Mike Nichols de ne pas avoir su faire de choix entre genre documentaire et événement historique romancé, il semble que ce soit justement le choix de ne faire ni un documentaire historique, ni une fiction, qui fasse le point d'acmé de la réalisation. Le bon dosage entre les deux types d'images joue en faveur d'autres réalisations dans le même esprit. Enfin, les quelques scènes se déroulant hors USA et Afghanistan sont brèves, mais sobres et parlantes, grâce à un bon travail photographique. Les nuances culturelles au sein des divers milieux diplomatiques sont bien mises en avant (visite de Charlie Wilson à Jérusalem, en Égypte, au Pakistan...). Les visites du « petit » sénateur ne sont pas longues mais séduisent toutes d'une manière ou d'une autre.


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Si ce film amène le spectateur à réfléchir sur la responsabilité politique et le concept de guerre froide, le risque reste de mélanger destin d'exception d'un député dans un combat précis et fonctionnement général de la politique américaine.

« On a merdé en fin de partie » : c'est par ces termes crus que Charlie Wilson conclue. Il en vient à démontrer qu'une prise de conscience de la part de responsabilité des États-Unis, non seulement dans l'histoire contemporaine afghane, mais aussi dans la leur, s'impose. En effet,

La guerre selon
Charlie Wilson
dénonce la mise en place de politiques à court terme. À la fin des années 80, les Américains viennent en aide aux Afghans sous le joug soviétique en finançant, armant et entraînant les paysans révoltés. Le pays débarrassé de l'escarcelle communiste, les Américains se retirent du conflit au Proche-Orient et les Afghans se retrouvent livrés à eux mêmes... La fin du film balaie, bien qu'un peu rapidement, les conséquences à long terme de l'engagement américain en Afghanistan : sur-armement, formation d'élites guerrières, désintérêt total de Washington pour reconstruire le pays (Charlie Wilson ne réussira aucune levée de fonds pour l'éducation notamment). Il s'agit en définitive de dénoncer la tiédeur des engagements américains quand leurs intérêts directs ne sont pas en jeu ; les politiciens ont fait fi des conséquences du
réveil islamiste dans la région. Les Américains ont financé et armé des milliers de djihadistes et islamistes radicaux, ceux-là mêmes qui aujourd'hui se battent contre l'Amérique et ses valeurs : c'est l'effet boomerang. Le film pause donc clairement mais très rapidement les prémices de la guerre américaine contre les « rogues states ». Le message véhiculé par le film:  « Il faut regarder des deux côtés de la rue » - avoir le recul nécessaire par rapport à l'engagement politique et idéologique - a le mérite de valoir finalement pour tout type d'engagement.

Le film met aussi en lumière le concept de guerre froide : guerre dans laquelle les ennemis doivent officiellement rester ennemis (Israël et Pakistan) même si officieusement des accords et arrangements ont lieu. L'incompétence de la CIA soulève bien ce point : « Les flux, quels qu'ils soient attireront l'attention ». Il ne faudrait pas que la guerre froide devienne une guerre chaude. Ainsi, le transit de
centaines de milliers d'armes russes achetées par les Américains en Israël et déplacées du Pakistan à l'Afghanistan, sera masqué par les autorités.

La guerre selon Charlie Wilson démontre la complexité des relations internationales, qui, au-delà de l'hypocrisie qu'on pourrait y déceler, s'avèrent raisonnées et irraisonnées à la fois : des pays sont capables de s'allier pour une cause (ici, la lutte contre une ennemi commun), mais cette alliance ne dure que le temps de résorber le problème et doit rester secrète pour ne pas bouleverser un ordre établi entre les satellites des deux grands.
Cependant, le film reste en partie problématique dans sa manière de présenter le règlement des questions géopolitiques comme relevant principalement du glamour et de la mondanité. Si ce mode d'opération s'avère entre autre avoir été effectivement l'instrument majeur de Charlie Wilson et de ses partenaires, le risque est de faire croire que la politique n'est que l'affaire de claquements de doigts. Le travail de politiciens et leurs responsabilités sont tels dans la réalité qu'on ne peut réduire leur vie professionnelle à un simple jeu de relations... Même si une bonne gestion d'un carnet d'adresse est très utile dans le milieu de la politique comme nous le prouve le cas de ce député, il ne faut pas croire qu'il est suffisant.

Le grand "plus" du film reste dans la manière de présenter la situation. Loin d'être manichéenne, travers si fréquent dans les films contemporains américains traitant de la politique extérieure du pays. Le plus
souvent, l'Amérique, poussée par un messianisme à outrance, mène un combat du bien, toujours récompensé, contre le mal, toujours puni. En outre, il ne s'agit pas non plus d'un pamphlet contre les guerres dites « justes »,  menées par les gouvernements américains. De même pour les protagonistes : ils ne sont pas ni entièrement roses ni entièrement noirs.  Charlie Wilson n'est qu'en partie le sauveur de l'Amérique. Bien au contraire, les personnages sont à la fois justes et injustes, forts et faibles, emprunts d'idéaux et rattrapés par la réalité : ils sont humains.


in notes de production.

Emily ROWE