Tony Gilroy, le scénariste de la saga Jason Bourne, dont le dernier épisode est actuellement sur les écrans, signe avec Michael Clayton sa première mise en scène. Il ne renie pas pour autant la thématique qui lui est chère : le film noir. L’acteur principal du film est George Clooney, qui depuis la reconnaissance de ses talents aime alterner comédies et films engagés, et prête « son charme, son aisance, son autorité... » (dixit le réalisateur), à un personnage sombre et perturbé, négligent et fatigué, qui se rapproche grosso modo du flic privé, cher aux productions hollywoodiennes des années 50. L’ acteur est aussi le producteur de Michael Clayton, par le biais de sa société Section Height, avec laquelle il a déjà proposé des films de la même étoffe (Syriana et Good night and good luck
>), œuvres militantes sur le thème de l’individu broyé dans les rouages du système.
L’alliance improbable de strass et de conscience politique portée par George Clooney fonctionne cependant à merveille dans ce film lent, complexe, volontairement déroutant (ce qui semble être la marque de fabrique de la maison Section Eight…). Plusieurs histoires se télescopent à des niveaux différents : les affaires louches de Michael Clayton, criblé de dettes de jeu ; la vente prochaine du cabinet d’affaire, qui risque de capoter si l’affaire U North n’est pas rapidement close ; enfin les prises de conscience de l’avocat ami de Michael, à l’origine de la crise en interne. La construction à rebours du film devrait ajouter à la confusion, mais en réalité elle se fonde de manière
organique dans le scénario, pour renouer avec le fil de l’action quasi-naturellement, lors d’une filature en voiture riche en suspense. La maîtrise du déroulement de l’histoire va de pair avec un scénario certes touffu, mais travaillé, dont les éléments s’agrègent sans maladresse dans le sillage de l’idée directrice, à savoir la prise de conscience progressive de Michael Clayton et les ressorts de sa décision finale.
Les personnages secondaires, tous brillants dans la mesure de leur rôle, convergent dans le sens des choix de l’antihéros clé du film. Tilda Swinton est remarquable dans son rôle de businesswoman accro au travail, dévouée corps et âme à son entreprise au point de brader sa moralité à l’heure des décisions. Elle-même victime de la situation, elle est « assez désemparée pour avoir du mal à établir les limites de son action… »,
ainsi que la décrit Tony Gilroy, ce qui la conduit à accomplir des actes « inhumains ». Tom Wilkinson (Arthur Edens) trouve aussi le ton juste pour évoquer cet avocat hyperactif, qui refuse son traitement médical et décide de se révolter contre la société qui l’emploie.
La peinture du monde des affaires a pour décor les immenses tours du quartier de Manhattan, notamment les gratte-ciels de la 6° Avenue, « l’avenue des Amériques ». « Aucun lieu au monde ne concentre autant d'argent, de pouvoir et d'activité (…), il y a quelque chose de colossal et d'écrasant dans cet alignement d'immeubles majestueux… »,
class="Apple-style-span">explique le réalisateur. En effet, filmée principalement de nuit, New York apparaît comme une ville désertée, sombre et froide, dans laquelle un homme, Michael Clayton, s’efforce d’échapper à de mystérieux poursuivants et de découvrir la vérité. Par contraste, il découvre cette même vérité, et décide de quel côté il va se placer, au moment même où il se retire un instant dans la campagne avoisinante, dorée sous les rayons d’un soleil levant, lieu ouvert succédant au labyrinthe des avenues new yorkaises.
Froid et tendu, le film diffuse aussi une atmosphère contemplative : le rythme, lent, est entrecoupé de rares pics de tension ; les dialogues, monocordes, laissant parfois place à de longs monologues enfiévrés qui rompent avec la dynamique inexorable et inhumaine imposée par le scénario (Clayton administrant à son fils des conseils pour réussir sa vie, ou encore le long monologue d’ouverture de Arthur Edens…).
« Ce que font les gens, ce qu'ils gagnent et de quelle façon sont des sujets qui me passionnent. C'est un univers fascinant car il génère de très nombreux dilemmes, désirs, décisions et prises de position. ». En se penchant sur le fonctionnement du monde des affaires, Tony Gilroy a voulu explorer l’homme en milieu ambiant, en l’occurrence son travail. L’univers des grandes firmes
américaines lui a permis d’étudier plus précisément l’individu au cœur de la société, la façon dont il existe et les choix qui lui permettent ou non d’être identifiable en tant qu’être unique, ou bien comme simple rouage d’une immense machine.
Cette perspective sociologique prend une dimension profondément morale dans la mesure où elle s’intéresse aux décisions humaines et à leur rapport au bien et à la vérité. Du point de vue historique, c’est un procès fait dans les années 1970 à General Motors, par les familles de victimes mortes dans l’incendie de leur voiture, qui a inspiré le cinéaste : l’entreprise avait été condamnée, entre autres sur la base d’un mémo interne, « qui avait
juste pour objet de déterminer s'il était plus coûteux de modifier la chaîne de montage du modèle en question ou d'indemniser les familles des victimes. Pour General Motors, la solution la plus économique était l'indemnisation… », rappelle le réalisateur. Cette manœuvre à des fins purement financières est sévèrement mis en scène par Tony Gilroy. En s’attaquant au tout (l’inhumanité du système) en partant de la partie (Michael Clayton), le film n’emprunte pas la voie la plus facile mais sans doute la plus efficace : le portrait individuel est bien plus marquant et acéré qu’un pavé sur les méfaits de la société contemporaine. Le manque de clarté du scénario bride un peu la portée du discours mais l’essentiel est dit : l’homme en société se reconnaît par ses choix, lesquels doivent être appréciés selon les éternels critères de bien et de
mal, aujourd’hui largement remis en question par le relativisme ambiant.
Il faut ici saluer l’engagement politiquement incorrect de certains films, surtout américains, dont Michael Clayton est un bon exemple. On ne peut manquer de regretter la frilosité du cinéma français, qui, malgré les nombreux scandales politico-financiers qui ébranlent notre quotidien, n’ose pas se montrer aussi incisif et déterminé. En évoquant l’idée de bien et de salut,
style="font-size: small" class="Apple-style-span">Michael Clayton n’est pas juste un thriller politico-financier mais aussi une parabole sur le devenir de l’homme et sa place dans la société.
*Citations tirées des notes de production.
Stéphane JOURDAIN
Tony Gilroy, le scénariste de la saga Jason Bourne, dont le dernier épisode est actuellement sur les écrans, signe avec Michael Clayton sa première mise en scène. Il ne renie pas pour autant la thématique qui lui est chère : le film noir. L’acteur principal du film est George Clooney, qui depuis la reconnaissance de ses talents aime alterner comédies et films engagés, et prête « son charme, son aisance, son autorité... » (dixit le réalisateur), à un personnage sombre et perturbé, négligent et fatigué, qui se rapproche grosso modo du flic privé, cher aux productions hollywoodiennes des années 50. L’ acteur est aussi le producteur de Michael Clayton, par le biais de sa société Section Height, avec laquelle il a déjà proposé des films de la même étoffe (Syriana et Good night and good luck >), œuvres militantes sur le thème de l’individu broyé dans les rouages du système.
L’alliance improbable de strass et de conscience politique portée par George Clooney fonctionne cependant à merveille dans ce film lent, complexe, volontairement déroutant (ce qui semble être la marque de fabrique de la maison Section Eight…). Plusieurs histoires se télescopent à des niveaux différents : les affaires louches de Michael Clayton, criblé de dettes de jeu ; la vente prochaine du cabinet d’affaire, qui risque de capoter si l’affaire U North n’est pas rapidement close ; enfin les prises de conscience de l’avocat ami de Michael, à l’origine de la crise en interne. La construction à rebours du film devrait ajouter à la confusion, mais en réalité elle se fonde de manière
organique dans le scénario, pour renouer avec le fil de l’action quasi-naturellement, lors d’une filature en voiture riche en suspense. La maîtrise du déroulement de l’histoire va de pair avec un scénario certes touffu, mais travaillé, dont les éléments s’agrègent sans maladresse dans le sillage de l’idée directrice, à savoir la prise de conscience progressive de Michael Clayton et les ressorts de sa décision finale.
Les personnages secondaires, tous brillants dans la mesure de leur rôle, convergent dans le sens des choix de l’antihéros clé du film. Tilda Swinton est remarquable dans son rôle de businesswoman accro au travail, dévouée corps et âme à son entreprise au point de brader sa moralité à l’heure des décisions. Elle-même victime de la situation, elle est « assez désemparée pour avoir du mal à établir les limites de son action… »,
ainsi que la décrit Tony Gilroy, ce qui la conduit à accomplir des actes « inhumains ». Tom Wilkinson (Arthur Edens) trouve aussi le ton juste pour évoquer cet avocat hyperactif, qui refuse son traitement médical et décide de se révolter contre la société qui l’emploie.
La peinture du monde des affaires a pour décor les immenses tours du quartier de Manhattan, notamment les gratte-ciels de la 6° Avenue, « l’avenue des Amériques ». « Aucun lieu au monde ne concentre autant d'argent, de pouvoir et d'activité (…), il y a quelque chose de colossal et d'écrasant dans cet alignement d'immeubles majestueux… », class="Apple-style-span">explique le réalisateur. En effet, filmée principalement de nuit, New York apparaît comme une ville désertée, sombre et froide, dans laquelle un homme, Michael Clayton, s’efforce d’échapper à de mystérieux poursuivants et de découvrir la vérité. Par contraste, il découvre cette même vérité, et décide de quel côté il va se placer, au moment même où il se retire un instant dans la campagne avoisinante, dorée sous les rayons d’un soleil levant, lieu ouvert succédant au labyrinthe des avenues new yorkaises.
Froid et tendu, le film diffuse aussi une atmosphère contemplative : le rythme, lent, est entrecoupé de rares pics de tension ; les dialogues, monocordes, laissant parfois place à de longs monologues enfiévrés qui rompent avec la dynamique inexorable et inhumaine imposée par le scénario (Clayton administrant à son fils des conseils pour réussir sa vie, ou encore le long monologue d’ouverture de Arthur Edens…).
« Ce que font les gens, ce qu'ils gagnent et de quelle façon sont des sujets qui me passionnent. C'est un univers fascinant car il génère de très nombreux dilemmes, désirs, décisions et prises de position. ». En se penchant sur le fonctionnement du monde des affaires, Tony Gilroy a voulu explorer l’homme en milieu ambiant, en l’occurrence son travail. L’univers des grandes firmes
américaines lui a permis d’étudier plus précisément l’individu au cœur de la société, la façon dont il existe et les choix qui lui permettent ou non d’être identifiable en tant qu’être unique, ou bien comme simple rouage d’une immense machine.
Cette perspective sociologique prend une dimension profondément morale dans la mesure où elle s’intéresse aux décisions humaines et à leur rapport au bien et à la vérité. Du point de vue historique, c’est un procès fait dans les années 1970 à General Motors, par les familles de victimes mortes dans l’incendie de leur voiture, qui a inspiré le cinéaste : l’entreprise avait été condamnée, entre autres sur la base d’un mémo interne, « qui avait
juste pour objet de déterminer s'il était plus coûteux de modifier la chaîne de montage du modèle en question ou d'indemniser les familles des victimes. Pour General Motors, la solution la plus économique était l'indemnisation… », rappelle le réalisateur. Cette manœuvre à des fins purement financières est sévèrement mis en scène par Tony Gilroy. En s’attaquant au tout (l’inhumanité du système) en partant de la partie (Michael Clayton), le film n’emprunte pas la voie la plus facile mais sans doute la plus efficace : le portrait individuel est bien plus marquant et acéré qu’un pavé sur les méfaits de la société contemporaine. Le manque de clarté du scénario bride un peu la portée du discours mais l’essentiel est dit : l’homme en société se reconnaît par ses choix, lesquels doivent être appréciés selon les éternels critères de bien et de
mal, aujourd’hui largement remis en question par le relativisme ambiant.
Il faut ici saluer l’engagement politiquement incorrect de certains films, surtout américains, dont Michael Clayton est un bon exemple. On ne peut manquer de regretter la frilosité du cinéma français, qui, malgré les nombreux scandales politico-financiers qui ébranlent notre quotidien, n’ose pas se montrer aussi incisif et déterminé. En évoquant l’idée de bien et de salut, style="font-size: small" class="Apple-style-span">Michael Clayton n’est pas juste un thriller politico-financier mais aussi une parabole sur le devenir de l’homme et sa place dans la société.
*Citations tirées des notes de production.