L’œuvre de
Darren Schan « La saga de Darren Schan » (2000), qui a servi de support au film, a été publié dans 37 pays et encensé par J.K. Rowling, l’auteur de Harry Potter, qui parle d’un livre « fascinant… une intrigue riche en surprises et coups de théâtre, qui donne envie de lire la suite. »
Par la force des choses, le film est donc construit sur un scénario efficace (de Brian Helgeland, scénariste oscarisé de L.A. Confidential mais aussi réalisateur de Payback et de Chevalier, avec Heath Cambo), doté d’une gamme d’effets spéciaux remarquables orchestrés par Tom Woodruff Jr., qui s’est lui-même glissé sous le masque d'un homme-loup dans le film.
La distribution des rôles sera sans aucun doute facteur de succès : on a peu l’occasion de voir Salma Hayek avec une barbe, John C. Reilly parvient à mêler la sympathie au mystère, Ken Watanabe assure une audience au Japon, Josh Hutcherson et Chris Massoglia incarnent leurs personnages de façon très crédible.
Comme le veut la loi du genre, le tout est baignée dans une succession de décors « inspiré des peintres expressionnistes allemands des années 20 et 30. » (in Dossier de Presse).
A noter le physique de Gavner Purl, fidèle ami de Crespley et interprété par Willem Dafoe, calqué sur celui de Salvador Dali.
Au cours de l'histoire, la littérature puis le cinéma se sont chargés de préciser sans cesse un peu plus les contours du vampire.
Dans un premier temps (Der Vampyr de Heinrich Augustin von Ossenfelder en 1748, la Fiancée de Corinthe de Goethe en 1797, ou encore Le vampire de John
William Polidori en 1819), le vampire n’est qu’un simple suceur de sang. En 1897, Bram Stoker publie Dracula, adapté en 1922 par Murnau dans Nosferatu, une symphonie de la terreur, où Dracula renforce sa puissance en suçant du sang, commande aux morts et à certains éléments de la nature, pratique la nécromantie, disparaît à volonté. Incarnation du mal, il peut être logiquement combattu par les symboles des forces du bien : une croix en or, « devant laquelle il recule avec respect et s'enfuit » ou une balle bénite, mais aussi des choses plus inattendues à l'époque comme l'ail ou une branche de rosier sauvage. En 1992 Francis Ford Coppola renoue avec cette conception dans un Dracula qu’il place dans un contexte de bien, de mal et de sacralisation (fou de douleur après le suicide de sa femme, Vlad Dracul renie l'Eglise et vend son âme aux pouvoirs obscurs).
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Dans cette première conception, le vampire incarne le mal et peut être combattu avec les armes sacrées de la religion à l'exception du film de Murnau, dans lequel seule une femme au cœur pur peut vaincre le comte en lui faisant oublier le lever du jour. De ce fait, l’arme anti-vampire est désacralisée (coupée de la religion) tout en restant centrée sur un symbole du bien : la pureté.
Une deuxième conception apparaît en 1872 dans Camilla, de Sheridan Le Fanu, ouvrage où le vampire passe du statut de créature mal intentionnée à celui de victime de son état, ce qui permet à l’auteur de justifier le lesbianisme d'une vampire fort dérangeante à l'époque.
L'imaginaire vient alors d'accoucher d'une deuxième sorte de vampire. Même dangereux, le vampire n’est plus l’incarnation du mal. Il est victime de son état, et digne de compassion.
Ainsi, en 1976, dans son roman Entretien avec un vampire, Anne Rice décrit des vampires aux prises avec leurs propres questions existentielles, bien tracées dans l'adaptation cinématographique du même nom (de Neil Jordan, 1994). Chez Le Fanu ou Rice, on découvre un vampire tourmenté par sa condition et fortement érotisé.
De ce fait, les armes anti-vampires sont remises en question et, s'il en est, plus rien ne justifie qu'elles soient inscrites dans une symbolique du bien, et encore moins du sacré.
Autour de ces grands courants dans l'histoire du vampirisme, un foisonnement d'oeuvres littéraires ou télévisuelles invente sans cesse des vampires dotés de nouvelles capacités : ils peuvent se transformer en animal, bénéficient d'une excellente vue nocturne, lisent dans les pensées...
Le film Blade (1998), de Stephen Norrington, inspiré de la bande dessinée du même nom, est intéressant car il emprunte aux différents courants. Le vampire est effectivement mauvais, mais l’un d’eux lutte avec acharnement pour sortir de sa condition. Les armes anti-vampires, quant à elles, échappent intégralement à la lutte entre forces du bien et forces des ténèbres.
L'assistant du Vampire,
comme Twilight (dont un opus a été réalisé en parallèle par Chris Weitz, le frère de Paul), se rapproche beaucoup du deuxième courant précité : il y a les gentils vampires et les méchants vampiriks. Les premiers sucent le sang de leurs victimes en douceur et sans tuer, tandis que les seconds font preuve d'une très grande brutalité. Le vampire n’est donc pas l’incarnation du mal. Il est libre de faire le bien et peut même être très sympathique (comme Crepsley).
Cette conception se heurte évidemment à quelques incohérences : après tout, ceux qui sont présentés comme les gentils sucent les humains sans leur consentement. Aucune philanthropie dans le fait de ne pas les tuer : ainsi que l'explique Crepsley, il s'agit de faire durer les réserves... Par ailleurs le « gentil » Crepsley est responsable d'un
odieux chantage à l'égard de Darren : « Crepsley, explique Chris Massoglia, profite de cette occasion et force Darren à choisir de devenir un vampire ou de laisser mourir son ami... » Un vrai copain, quoi... Mais curieusement c'est ce qui séduit Paul Weitz : « ce qui me plaisait ici, c'était la relation filiale qui se développe entre Darren et Crepsley. »
Par ailleurs peut-on quitter sa famille brutalement pour toute l'éternité, vivre en permanence dans les ténèbres, sucer du sang et dormir dans des cercueils tout en étant un « gentil » ?
Voilà qui heurte de plein fouet la conception traditionnelle de l'être épanoui par le bien qu'il fait autour de lui.
La question mérite d’être posée car, comme l'indique Lauren Shuler Donner, productrice du film, « Darren va chèrement payer sa loyauté aux amis et à la famille qu'il a perdus en devenant
vampire. Le Cirque devient sa nouvelle famille, et Crepsley, son père de substitution. »
Pourtant le fait de passer d'être humain à vampire est bien montré comme un progrès : « Cette série raconte la métamorphose d'un garçon ordinaire en héros, la réalisation magique d'un voeu, des affrontements de créatures fantastiques – toute choses qui fascinent les ados. Qui ne souhaiterait jouir des pouvoirs qui échoient à Darren en devenant vampire ? » (Erwan Leslie, Directeur de la Donner's Company)
Cette confusion des repères est savamment orchestrée par Paul Weitz, qui y voit le signe d'une maturation : « devenir adulte, c'est entrer dans un univers moral plus ambigu, où les choses cessent d'être en noir et
blanc. L'histoire de Darren est une métaphore de ce passage à l'âge d'homme. »
La confusion est-elle une réponse au manichéisme ?
Le prolongement de cette logique est bien entendu l'abandon de toute sacralisation des armes anti-vampire. Le film peut ainsi ridiculiser le geste de Darren, qui tente de faire fuir Crepsley en formant une croix à l'aide de ses doigts.
Cette désacralisation est d'ailleurs poussée à son paroxysme quand on sait qu'une des deux grandes scènes de combat du film a été tournée dans un vrai cimetière de Bâton Rouge, en Louisianne.
Ne peut-on laisser nos morts en paix ?
Comme dans tout film de vampire, la violence et le
dégoût sont omniprésents mais, public oblige, avec modération : « Par souci du détail, un moule du bras et de la main de l'actrice fut utilisé lors de la scène où son bras est arraché par l'homme loup. Parce que [Paul Weitz] souhaitait que le spectateur soit fasciné et légèrement effrayé plutôt qu'horrifié par le coté gore. » (in Dossier de Presse).
Raphaël Jodeau
L’œuvre de
Darren Schan « La saga de Darren Schan » (2000), qui a servi de support au film, a été publié dans 37 pays et encensé par J.K. Rowling, l’auteur de Harry Potter, qui parle d’un livre « fascinant… une intrigue riche en surprises et coups de théâtre, qui donne envie de lire la suite. »
Par la force des choses, le film est donc construit sur un scénario efficace (de Brian Helgeland, scénariste oscarisé de L.A. Confidential mais aussi réalisateur de Payback et de Chevalier, avec Heath Cambo), doté d’une gamme d’effets spéciaux remarquables orchestrés par Tom Woodruff Jr., qui s’est lui-même glissé sous le masque d'un homme-loup dans le film.
La distribution des rôles sera sans aucun doute facteur de succès : on a peu l’occasion de voir Salma Hayek avec une barbe, John C. Reilly parvient à mêler la sympathie au mystère, Ken Watanabe assure une audience au Japon, Josh Hutcherson et Chris Massoglia incarnent leurs personnages de façon très crédible.
Comme le veut la loi du genre, le tout est baignée dans une succession de décors « inspiré des peintres expressionnistes allemands des années 20 et 30. » (in Dossier de Presse).
A noter le physique de Gavner Purl, fidèle ami de Crespley et interprété par Willem Dafoe, calqué sur celui de Salvador Dali.
Au cours de l'histoire, la littérature puis le cinéma se sont chargés de préciser sans cesse un peu plus les contours du vampire.
Dans un premier temps (Der Vampyr de Heinrich Augustin von Ossenfelder en 1748, la Fiancée de Corinthe de Goethe en 1797, ou encore Le vampire de John
William Polidori en 1819), le vampire n’est qu’un simple suceur de sang. En 1897, Bram Stoker publie Dracula, adapté en 1922 par Murnau dans Nosferatu, une symphonie de la terreur, où Dracula renforce sa puissance en suçant du sang, commande aux morts et à certains éléments de la nature, pratique la nécromantie, disparaît à volonté. Incarnation du mal, il peut être logiquement combattu par les symboles des forces du bien : une croix en or, « devant laquelle il recule avec respect et s'enfuit » ou une balle bénite, mais aussi des choses plus inattendues à l'époque comme l'ail ou une branche de rosier sauvage. En 1992 Francis Ford Coppola renoue avec cette conception dans un Dracula qu’il place dans un contexte de bien, de mal et de sacralisation (fou de douleur après le suicide de sa femme, Vlad Dracul renie l'Eglise et vend son âme aux pouvoirs obscurs).
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Dans cette première conception, le vampire incarne le mal et peut être combattu avec les armes sacrées de la religion à l'exception du film de Murnau, dans lequel seule une femme au cœur pur peut vaincre le comte en lui faisant oublier le lever du jour. De ce fait, l’arme anti-vampire est désacralisée (coupée de la religion) tout en restant centrée sur un symbole du bien : la pureté.
Une deuxième conception apparaît en 1872 dans Camilla, de Sheridan Le Fanu, ouvrage où le vampire passe du statut de créature mal intentionnée à celui de victime de son état, ce qui permet à l’auteur de justifier le lesbianisme d'une vampire fort dérangeante à l'époque.
L'imaginaire vient alors d'accoucher d'une deuxième sorte de vampire. Même dangereux, le vampire n’est plus l’incarnation du mal. Il est victime de son état, et digne de compassion.
Ainsi, en 1976, dans son roman Entretien avec un vampire, Anne Rice décrit des vampires aux prises avec leurs propres questions existentielles, bien tracées dans l'adaptation cinématographique du même nom (de Neil Jordan, 1994). Chez Le Fanu ou Rice, on découvre un vampire tourmenté par sa condition et fortement érotisé.
De ce fait, les armes anti-vampires sont remises en question et, s'il en est, plus rien ne justifie qu'elles soient inscrites dans une symbolique du bien, et encore moins du sacré.
Autour de ces grands courants dans l'histoire du vampirisme, un foisonnement d'oeuvres littéraires ou télévisuelles invente sans cesse des vampires dotés de nouvelles capacités : ils peuvent se transformer en animal, bénéficient d'une excellente vue nocturne, lisent dans les pensées...
Le film Blade (1998), de Stephen Norrington, inspiré de la bande dessinée du même nom, est intéressant car il emprunte aux différents courants. Le vampire est effectivement mauvais, mais l’un d’eux lutte avec acharnement pour sortir de sa condition. Les armes anti-vampires, quant à elles, échappent intégralement à la lutte entre forces du bien et forces des ténèbres.
L'assistant du Vampire,
comme Twilight (dont un opus a été réalisé en parallèle par Chris Weitz, le frère de Paul), se rapproche beaucoup du deuxième courant précité : il y a les gentils vampires et les méchants vampiriks. Les premiers sucent le sang de leurs victimes en douceur et sans tuer, tandis que les seconds font preuve d'une très grande brutalité. Le vampire n’est donc pas l’incarnation du mal. Il est libre de faire le bien et peut même être très sympathique (comme Crepsley).
Cette conception se heurte évidemment à quelques incohérences : après tout, ceux qui sont présentés comme les gentils sucent les humains sans leur consentement. Aucune philanthropie dans le fait de ne pas les tuer : ainsi que l'explique Crepsley, il s'agit de faire durer les réserves... Par ailleurs le « gentil » Crepsley est responsable d'un
odieux chantage à l'égard de Darren : « Crepsley, explique Chris Massoglia, profite de cette occasion et force Darren à choisir de devenir un vampire ou de laisser mourir son ami... » Un vrai copain, quoi... Mais curieusement c'est ce qui séduit Paul Weitz : « ce qui me plaisait ici, c'était la relation filiale qui se développe entre Darren et Crepsley. »
Par ailleurs peut-on quitter sa famille brutalement pour toute l'éternité, vivre en permanence dans les ténèbres, sucer du sang et dormir dans des cercueils tout en étant un « gentil » ?
Voilà qui heurte de plein fouet la conception traditionnelle de l'être épanoui par le bien qu'il fait autour de lui.
La question mérite d’être posée car, comme l'indique Lauren Shuler Donner, productrice du film, « Darren va chèrement payer sa loyauté aux amis et à la famille qu'il a perdus en devenant
vampire. Le Cirque devient sa nouvelle famille, et Crepsley, son père de substitution. »
Pourtant le fait de passer d'être humain à vampire est bien montré comme un progrès : « Cette série raconte la métamorphose d'un garçon ordinaire en héros, la réalisation magique d'un voeu, des affrontements de créatures fantastiques – toute choses qui fascinent les ados. Qui ne souhaiterait jouir des pouvoirs qui échoient à Darren en devenant vampire ? » (Erwan Leslie, Directeur de la Donner's Company)
Cette confusion des repères est savamment orchestrée par Paul Weitz, qui y voit le signe d'une maturation : « devenir adulte, c'est entrer dans un univers moral plus ambigu, où les choses cessent d'être en noir et
blanc. L'histoire de Darren est une métaphore de ce passage à l'âge d'homme. »
La confusion est-elle une réponse au manichéisme ?
Le prolongement de cette logique est bien entendu l'abandon de toute sacralisation des armes anti-vampire. Le film peut ainsi ridiculiser le geste de Darren, qui tente de faire fuir Crepsley en formant une croix à l'aide de ses doigts.
Cette désacralisation est d'ailleurs poussée à son paroxysme quand on sait qu'une des deux grandes scènes de combat du film a été tournée dans un vrai cimetière de Bâton Rouge, en Louisianne.
Ne peut-on laisser nos morts en paix ?
Comme dans tout film de vampire, la violence et le
dégoût sont omniprésents mais, public oblige, avec modération : « Par souci du détail, un moule du bras et de la main de l'actrice fut utilisé lors de la scène où son bras est arraché par l'homme loup. Parce que [Paul Weitz] souhaitait que le spectateur soit fasciné et légèrement effrayé plutôt qu'horrifié par le coté gore. » (in Dossier de Presse).